2.3 Bases légales
L’autodétermination numérique doit permettre de surmonter l’apparente contradiction entre la protection et l’utilisation des données. D’un point de vue juridique, la notion d’autodétermination numérique se compose de deux catégories de bases juridiques:
- celles qui garantissent principalement la protection de la personne et de sa sphère privée
ainsi que la participation dans l’espace numérique; - celles qui portent principalement sur l’utilisation des données et donc sur des aspects de la liberté économique et des potentiels de progrès et d’innovation.
Protection et participation dans l’espace numérique
L’autodétermination numérique se fonde sur les droits de l’homme, qui sont ancrés à la fois dans la Constitution fédérale suisse et dans le droit international. Au premier plan figurent le droit à la liberté personnelle (art. 10, al. 2, Cst.), les droits à la protection de la sphère privée, à l’autodétermination informationnelle et à la protection contre l’utilisation abusive de données personnelles (art. 13 Cst.; art.8 CEDH; art. 17 du Pacte ONU II) ainsi que la liberté d’information (art. 16 Cst., art. 10 CEDH, art. 19 Pacte ONU II). La composante collective de l’autodétermination numérique peut notamment résulter des droits politiques (art. 34 Cst.).
Le droit à l’autodétermination informationnelle est particulièrement important pour l’autodétermination numérique. Il prévoit que chaque personne peut décider elle-même à qui elle confie ses données personnelles (→ Données personnelles), dans quelles circonstances et à quelles fins (Selon Häfelin U. et al. (2020) sont considérées comme données personnelles sont considérées toutes les informations qui se rapportent à une personne physique identifiée ou identifiable, soit aussi les données qui peuvent être attribuées à une personne par déduction).
Cette protection n’est certes pas absolue, puisque, premièrement, des restrictions au droit fondamental sont admissibles pour autant qu’elles soient proportionnées et que les bases légales nécessaires existent, et que, deuxièmement, seul l’État est initialement soumis aux droits fondamentaux. Mais ceux-ci doivent se manifester dans l’ensemble de l’ordre juridique et les autorités doivent veiller à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s’y prêtent, prennent également effet entre les particuliers (art. 35 Cst.).
La protection de la personnalité et de la sphère privée ainsi que l’autodétermination informationnelle sont dans ce sens concrétisées au niveau de la loi par les art. 27 et 28 du Code civil suisse (CC) ainsi que dans la loi sur la protection des données (LPD). Le droit de la protection des données lie aussi bien les autorités étatiques que les particuliers lors du traitement de données personnelles et contient des règles partiellement différentes pour les deux catégories. Une différence essentielle réside dans le fait que le traitement de données par des personnes privées repose sur le consentement comme motif justificatif (art. 13 LPD ou art. 31 revLPD, FF 2020 7639), tandis que Häfelin U. et al. (2020) souligne que le traitement de données par des organes étatiques requiert en principe une base légale au lieu du consentement. Formellement, c’est donc la personne concernée qui, en règle générale, a seule le droit de décider de l’utilisation de données la concernant. Enfin, le Code pénal suisse et le droit pénal accessoire contiennent des dispositions qui prévoient des sanctions en cas d’utilisation abusive des données.
Liberté économique et innovation
L’autodétermination numérique est également ancrée dans des bases juridiques, lesquelles sont principalement orientées sur les besoins et l’économie. Il convient de mentionner en particulier le principe fondamental de la liberté contractuelle, inscrit dans le Code suisse des obligations (CO), la liberté économique (art. 27 et 94 Cst.) ainsi que la liberté de la science (art. 20 Cst.). Le principe fondamental de la liberté contractuelle (lequel relève du droit privé) et la liberté économique ont pour but de garantir la liberté d’entreprise, en vertu de laquelle l’activité économique privée doit être exercée et organisée aussi librement que possible par des personnes physiques et morales. Les deux garanties s’appliquent également à l’espace numérique. Selon Häfelin U. et al. (2020), elles répondent d’une part au besoin essentiel d’une vie libre et autodéterminée, et d’autre part à un ordre économique tourné vers l’économie de marché et la concurrence. Elles sont donc étroitement liées à la réalisation de l’autodétermination numérique.
Selon Häfelin U. et al. (2020) et Ghielmini S. et al. (2021), il en va de même pour la liberté de la science. Celle-ci garantit la production et la diffusion des connaissances de la recherche, et inclut le droit de prendre connaissance des résultats d’autrui. L’art.15, al. 1, let. b du Pacte I de l’ONU, reconnaît en outre à chacun le droit de « bénéficier du progrès scientifique et de ses applications ». La liberté de la science souligne donc des éléments centraux de l’autodétermination numérique (utilisation et échange de données) et soutient l’approche selon laquelle l’exploitation du potentiel des données génère une plus-value économique et sociale.
L’autodétermination numérique en tant que réalisation des droits existants
L’autodétermination numérique s’inscrit largement dans le cadre des droits international et national existants. Elle est l’expression des valeurs sociales et des principes fondamentaux de la Suisse. Ce large ancrage montre clairement qu’elle ne se limite pas à des questions de droit de la protection des données. Elle présuppose un écosystème doté des conditions appropriées, dans lequel les particuliers et les entreprises peuvent évoluer de manière autodéterminée conformément aux fondements mentionnés de notre ordre juridique et social.
Le contenu de ce module ainsi que le graphique est issu du rapport du DETEC et du DFAE au Conseil fédéral « Création d’espaces de données fiables, sur la base de l’autodétermination numérique ».
Références :
Häfelin U. et al. (2020), « Schweizerisches Bundesstaatsrecht »;
Ghielmini S. et al. (2021), « Grund- und Menschenrechte in einer digitalen Welt ».